Où sont passées nos nouvelles? Un examination sur la proposition de loi C-18
Cindy Lin, 2L, rédactrice du volume 82 et Erin Lee, 2L, rédactrice du volume 82
Depuis août, les utilisateurs au Canada de Facebook et d’Instagram ne peuvent plus consulter les nouvelles sur les plateformes de médias sociaux. Ce changement soudain est dû à la réaction de Meta à la promulgation de la proposition de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada (la « Loi »), en juin 2023. Connue sous le titre de Loi sur les nouvelles en ligne, la Loi impose aux entreprises technologiques telles que Google et Meta l’obligation de partager avec les entreprises de nouvelles canadiennes les revenus publicitaires en ligne créés par le partage de liens d’actualités. Google et Meta ont réagi en retirant les nouvelles de leurs plateformes. Qu’est-ce que la Loi signifie pour l’industrie des nouvelles au Canada et comment affectera-t-elle l’utilisateur moyen des médias sociaux?
Les raisons motivant la Loi
L’industrie canadienne du journalisme a subi une baisse drastique de revenus au cours des dernières années. La baisse du lectorat et la numérisation des nouvelles ont mené à la chute de 21,9 pour cent des revenus d’exploitation entre 2018 et 2020. La pandémie de COVID-19 a aggravé ces pertes financières; la fermeture des entreprises et l’annulation des événements ont fait chuter la demande de publicité imprimée. Depuis 2020, plus de 60 médias d’information ont cessé leurs activités et plus de 450 ont mis fin à leurs opérations depuis 2008.
La transition de l’imprimer vers le numérique a eu un impact particulièrement sévère sur les entreprises de nouvelles. En 2023, la majorité des Canadiens obtiennent leurs nouvelles en ligne : plus de 70 pour cent des Canadiens consultent les nouvelles en ligne et près de la moitié sur les médias sociaux. Les plateformes numériques ont supplanté les journaux imprimés en tant que moyen préféré de consommation de nouvelles. Par conséquent, les entreprises de nouvelles sont devenues dépendantes de ces plateformes pour la diffusion de leur contenu. Près d’un tiers des visiteurs du Globe and Mail en ligne proviennent de Google, qui affiche des liens vers les nouvelles sur ses produits Search, News et Discover.
Le Parlement a adopté la Loi en réponse au « déséquilibre du marché » concernant les revenus publicitaires en ligne entre les entreprises de nouvelles et les entreprises technologiques derrière les plateformes numériques. Au fur et à mesure que les médias ont numérisé leur contenu, la publicité s’est également déplacée en ligne. Au lieu de solliciter et de publier directement des publicités, les entreprises de nouvelles se fient aux intermédiaires, tels que Google, qui organisent des ventes aux enchères où les annonceurs font des offres pour que leurs publicités apparaissent dans certains termes de recherche. Ce système a donné à Google et Meta un monopole dans la publicité en ligne : ensemble, les deux entreprises détiennent plus de 80 pour cent de parts de marché. La Loi représente un effort du Parlement pour garantir une rémunération équitable pour les entreprises de nouvelles en obligeant les entreprises technologiques à partager les bénéfices du partage et de la diffusion des nouvelles canadiennes.
Cette Loi s’inspire du News Media and Digital Platforms Mandatory Bargaining Code (le « Code »), qui exige des plateformes numériques qu’elles rémunèrent les entreprises de nouvelles pour leur contenu. Comme au Canada, Facebook a initialement retiré tout le contenu des médias d’information australiens de sa plateforme. Après la modification du Code, Facebook et Google ont finalement conclu des accords de partage des revenus avec les entreprises de nouvelles. On estime que les entreprises de nouvelles australiennes ont réalisé 200 millions de dollars australiens grâce à ces accords, tandis que le Canada prévoit de réaliser plus de 300 millions de dollars canadiens par année.
Qu’est-ce que la Loi fait?
La Loi crée un régime de négociation pour les entreprises de nouvelles et les intermédiaires de nouvelles numériques à négocier collectivement des accords de partage des revenus publicitaires en ligne. Son objectif est de réglementer les intermédiaires pour améliorer l’équité sur le marché des nouvelles numériques au Canada. Certains de ces intermédiaires sont tenus de négocier avec les entreprises de nouvelles canadiennes admissibles en vue de parvenir à un accord concernant la répartition des revenus publicitaires en ligne générés par la reproduction ou la facilitation de l’accès au contenu de nouvelles.
La Loi précise les critères permettant de déterminer quels intermédiaires et quelles entreprises de nouvelles sont touchés par sa réglementation. Un intermédiaire de nouvelles numériques est défini comme une plateforme de communication en ligne rendant disponible le contenu de nouvelles produit par des médias d’information aux personnes se trouvant au Canada. Cette définition exclut expressément les plateformes principalement dédiées aux services de messagerie privée, telles que Whatsapp. De même, toutes les entreprises de nouvelles ne bénéficient pas de la protection de la Loi. Une entreprise peut participer au processus de négociation si elle est une association journalistique canadienne produisant du contenu journalistique originale d'intérêt général principalement pour le marché canadien de la presse.
Le régime envisage jusqu’à trois étapes dans le processus de négociation. Dans la première étape, les intermédiaires et les entreprises de nouvelles négocient pendant 90 jours. Si les parties n'aboutissent pas à un accord, elles entrent alors dans des séances de médiation pendant 120 jours. La dernière étape survient lorsque les parties ne parviennent pas à un accord à la fin de la période de médiation et qu’au moins l’une des parties souhaite entamer un arbitrage. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le « CRTC ») nomme une formation de trois arbitres qui choisissent une offre finale parmi celles présentées par les parties. Ce choix tient compte de la valeur ajoutée au contenu de nouvelles de chaque partie, de leurs bénéfices respectifs découlant de la diffusion du contenu par l’intermédiaire et du déséquilibre de leurs pouvoirs de négociation.
Les articles principaux de la Loi
La Loi couvre une vaste portée d’activités soumises au processus de négociation. Les intermédiaires sont tenus de négocier avec les entreprises de nouvelles concernant la disponibilité du contenu de nouvelles. Conformément à l’article 2, les intermédiaires rendent le contenu des nouvelles disponibles s’ils reproduisent une partie de celui-ci ou en facilitant l’accès par n’importe quel moyen, y compris les répertoires, l’agrégation ou le classement. Cela signifie que l’affichage de résumés d’articles produits par des entreprises des nouvelles canadiennes et le partage de liens pourraient soumettre les intermédiaires à l’obligation de négocier.
Cependant, cette obligation ne s’applique pas automatiquement lorsque les intermédiaires créent des liens de partage vers des contenus de nouvelles canadiens. Il faut qu’il y ait un déséquilibre de pouvoir significatif entre l'intermédiaire et l’entreprise, ce qui dépend de trois critères : la taille de l’intermédiaire, l’existence d’un avantage stratégique par rapport aux entreprises de nouvelles et la position de premier plan de l'intermédiaire sur le marché. Ces critères concordent avec l’objectif de la Loi visant à améliorer l’équité sur le marché de nouvelles numériques au Canada.
De plus, les intermédiaires de nouvelles numériques peuvent être soumis aux exemptions prévues à la section 11, à condition qu'ils aient déjà conclu des accords avec des entreprises de presse qui satisfont à des critères tels qu'une rémunération équitable et l'absence d'influence corporative. D'autres sections utiles à noter incluent la section 19, qui décrit les étapes et la portée du processus de négociation, et la section 25, qui régit toute médiation ou arbitrage.
Réponses des entreprises de médias sociaux
De nombreuses entreprises de médias sociaux ont réagi à la Loi en indiquant qu'elles bloqueraient les organes d'information, tels que définis par la Loi, sur leurs plateformes. En particulier, Google et Meta considèrent cette législation comme une taxe injuste sur les liens qui, on peut arguer, contribuent à diriger les utilisateurs vers les organes de presse.
Meta prévoit de bloquer les éditeurs de nouvelles et les diffuseurs qui répondent aux critères énoncés dans la section 2 de la Loi. Actuellement, ce processus est en cours et les utilisateurs de Facebook ou d'Instagram au Canada ne peuvent plus accéder aux actualités de ces agences. De plus, le blocage affectera également les plateformes de Meta, telles que les reels et les stories (photos et vidéos temporaires qui disparaissent après 24 heures), qui permettent aux entreprises de publier des liens vers des articles d'actualité. Les utilisateurs au Canada ne pourront plus partager ni consulter d'articles de presse ni d'autres contenus. Cependant, Meta collabore avec un expert en littératie numérique pour élaborer un guide visant à enseigner d'autres moyens d'obtenir des nouvelles sur Internet.
Tout comme Meta, Google a indiqué qu'il supprimerait les liens vers les actualités au Canada d'ici la fin de l'année. Cela inclut la suppression des liens vers les actualités canadiennes dans les résultats de recherche, les pages d'actualités et un flux de contenu sélectionné appelé Google Discover. Cependant, Google consulte activement le gouvernement dans l'espoir de trouver une solution alternative.
Comment le projet de loi C-18 affecte-t-il les Canadiens?
Les recherches de l'Institut Reuters indiquent que les réponses de Google et de Meta à la Loi toucheront près d'un Canadien sur deux, qui citent les médias sociaux comme leur source principale d'informations. Les médias sociaux sont le troisième moyen le plus utilisé pour accéder à l'information au Canada, après Internet (a source principale) et la télévision.
L'une des conséquences de cette loi serait que l'écosystème médiatique canadienne deviendrait complètement dépendant des géants américains qui organisent et contrôlent ce que les gens voient en ligne, mettant ainsi fin au journalisme indépendant au Canada. Le gouvernement fédéral affirme que Google et Facebook contrôlent 80 pour cent du marché de la publicité en ligne au Canada, de sorte que l'impact sur certaines entreprises de médias sera dévastateur. Les entreprises ont élaboré des méthodes alternatives pour partager leur contenu.
En bref, les Canadiens peuvent toujours se rendre directement sur les sites d'information et recevoir des alertes sur les contenus d'actualité. Bien que la Loi puisse avoir pour effet d'amener les utilisateurs à se fier à d'autres histoires non vérifiées, ce qui rend difficile la distinction entre les faits et la fiction, les utilisateurs canadiens qui dépendent des médias sociaux comme source principale d'information peuvent trouver d'autres moyens fiables d'obtenir des nouvelles. Comme le blocage s'applique aux éditeurs canadiens tels que définis dans la Loi, les utilisateurs canadiens peuvent toujours trouver des nouvelles provenant de médias internationaux.